LAUTOMNE DE MARTIN
SCORSESE
Il faudrait
toujours dire doù viennent les articles que
lon fait. Dire doù vient le désir
décrire sur tel sujet et non sur tel autre, pas
nécessairement de moindre importance. Le critique
na pas à endosser le rôle
envié mais vain darbitre des
élégances. Il est des belles uvres sur
lesquelles on nécrit pas cest, en
ce qui me concerne, le cas du Sleepy hollow de Tim
Burton sans quil entre dans ce silence le
moindre déni de valeur. Comme dans toute rencontre
amoureuse, et plus encore dans toute déclaration
damour, le hasard tient sa part, difficilement
estimable, rarement reconnue. Pourquoi écrire, non
sur Martin Scorsese ce qui peut se comprendre, chacun
en conviendra , mais sur lévolution du
cinéma de Scorsese au cours des dix dernières
années ? Certains réalisateurs ont sans doute
signé durant la décennie écoulée
des films plus importants Clint Eastwood, par
exemple, pour sen tenir au cinéma
américain. Pourquoi une artificielle segmentation
chronologique marquerait-elle louverture dune
nouvelle période de luvre ?
Avant de répondre à ces
questions, ou plutôt précisément pour y
répondre, il faut donc évoquer le hasard. Le
hasard dune rencontre il est vrai quen
lespèce, on en vit de plus fortuites
avec larticle de Kent Jones,
Dix malentendus, paru dans le numéro 542
des Cahiers du cinéma. A travers ce texte, K.
Jones entend revenir sur des uvres peu ou mal
comprises au cours de la décennie
écoulée. Sa sixième note concerne
Scorsese; on y lit notamment: Avec
Goodfellas, Martin Scorsese a élargi de plus
en plus son centre dintérêt, qui portait
désormais sur tout le spectre de la
société, quand le fonctionnement du business
finit par gagner et ébranler tous les aspects de la
vie. Mais Scorsese est également devenu un
cinéaste plus distancé, plus contemplatif, et
aussi de plus en plus incompris ici.
Daucuns diront quil y a des
cinéastes, ne serait-ce quaméricains,
plus gravement incompris que Scorsese et on ne peut
leur donner tort, si lon songe par exemple à
John Carpenter ou à Monte Hellman, sur lesquels Kent
Jones a dailleurs également écrit de
beaux textes. Il y a pourtant un écart assez
incroyable entre dune part lestime et la
reconnaissance presque unanimement accordées à
Scorsese en général, et dautre
part laccueil plus que réservé qui a
été fait à nombre de ses derniers films
(seuls Goodfellas et Casino ont
rencontré de vrais succès critiques
tout au moins en Europe, le second ayant été
considéré aux États-Unis comme un
simple remake du premier). Le fait que ces films viennent
après The Last Temptation of Christ (1988)
nest sans doute pas étranger à une telle
incompréhension. On sait combien ce long
métrage, dont la réalisation fut plusieurs
fois reportée, est tout à la fois la somme et
la matrice de luvre antérieure. Scorsese
sétant confronté directement à la
figure christique et à la Passion tant de fois
évoquées auparavant, que lui restait-il
à filmer ? Cest dans la mesure où
les films qui suivirent eurent tous à répondre
à cette question, que lon peut
légitimement considérer quune nouvelle
période souvre avec
Goodfellas, tourné en 1990. Larticle de
Kent Jones fit donc naître lenvie dun
retour, à lheure de la sortie française
de Bringing Out the Dead, sur les films de cette
période, qui marquent une évolution dans
luvre du réalisateur, jusque-là
peu prise en compte et plus rarement encore en bonne
part.
Au cours des années 90, Martin
Scorsese a réalisé six longs métrages
de fiction:
Goodfellas (Les Affranchis, 1990), Cape
Fear (Les Nerfs à vif, 1991), The Age
of Innocence (Le Temps de linnocence,
1993), Casino (1995), Kundun (1997),
Bringing Out the Dead (A tombeau ouvert,
1999). Aucun de ces films ne possède au sens strict
de scénario original: trois dentre eux sont
adaptés dhistoires vraies
(Goodfellas, Casino tous deux
scénarisés à partir des récits
que Nicholas Pileggi avait lui-même déjà
tirés des faits réels Kundun);
deux portent à lécran des romans (The
Age of Innocence, le classique de la littérature
américaine quest luvre dEdith
Wharton, Bringing Out the Dead, le texte
semi-autobiographique de Joe Connelly); le dernier, Cape
Fear, est un remake du film homonyme de Jack Lee
Thompson, datant de 1962, lui-même déjà
adapté dun roman de John D. MacDonald
cest le seul remake de Scorsese, The Color of
Money (La Couleur de largent, 1986)
nétant quune suite de The Hustler
(LArnaqueur, 1961) de Robert Rossen. Les
derniers films de Scorsese ne cessent ainsi de travailler
des matériaux préexistants, de narrer des
histoires déjà connues, faits divers,
évènements historiques ou uvres
antérieures. Lart du réalisateur se fait
de moins en moins création pure, exempte de tout
référent, et de plus en plus alchimie,
transformation de substances.
Chaque film tisse des liens avec des
metteurs en scène et des longs métrages du
passé. Au-delà du seul film de Jack Lee
Thompson, Cape Fear renvoie de la sorte à
lunivers dAlfred Hitchcock: dabord, bien
sûr, par son affiliation au genre du film à
suspense dans son introduction au Cinéma
selon Hitchcock, François Truffaut cite
dailleurs le J. Lee Thompson de Cape Fear parmi
les réalisateurs influencés par lauteur
de Psycho; mais aussi et surtout par le choix
dun certain nombre de collaborateurs: le
décorateur Henry Bumstead, le créateur du
générique Saul Bass ont tous deux
travaillé avec Hitchcock à la fin des
années cinquante; quant à la musique
écrite pour le film de 1962 par Bernard Herrmann,
longtemps compositeur fétiche du maître (et
dont la dernière partition fut celle de Taxi
Driver), elle est réutilisée par Scorsese,
seulement adaptée par Elmer Bernstein.
Cest du côté de la seconde période
de Luchino Visconti, celle de Senso et des fastes
dune mise en scène
opératique, que va chercher The Age of
Innocence dans lequel certains virent à
tort un film en costumes dans le style académique
anglais dun James Ivory. Comme dans luvre
de Visconti, la splendeur des apparences
nempêche pas le regard porté sur la haute
société de manifester une cruelle
lucidité quant au mal qui la ronge: si
laristocratie décadente nen finit pas de
mourir chez lauteur de Ludwig, elle se
révèle dans le film de Scorsese suffisamment
aliénante pour briser tous les espoirs
démancipation de Newland Archer (Daniel
Day-Lewis), et le faire passer à côté de
sa vie. Le cas de Kundun est plus
problématique: dune part, sur lorigine de
son intérêt pour la culture tibétaine,
Scorsese a cité le film dAndrew Marton,
Storm over Tibet (1951), mélange de
scènes tournées en studio et dimages
documentaires filmées au Tibet dans les années
trente époque de lenfance du
quatorzième dalaï-lama, et de la première
partie de Kundun. Dautre part, bien loin des
conventions des traditionnelles biographies hollywoodiennes,
le film de Scorsese évoque, par sa recherche
dun mode narratif moins linéaire et causal que
sensitif et musical, la modernité européenne
des années soixante, et le cinéma de
poésie opposé par Pasolini au
cinéma de prose.
Les trois films restants de la
période, Goodfellas, Casino et
Bringing Out the Dead, tissent des liens, non pas
avec les uvres dautres réalisateurs, mais
avec des films antérieurs de Scorsese lui-même:
Goodfellas et Casino forment avec Mean
Streets (1973) une espèce de trilogie mafieuse,
directement inspirée de lunivers, des
personnages et des rites que Scorsese a pu observer dans sa
jeunesse à Little Italy. Au plan de la distribution,
Robert De Niro fait la jonction entre les trois volets: sa
présence dans Goodfellas, en retrait dans un
rôle secondaire un peu plus âgé que le
narrateur-protagoniste, a valeur de rappel de Mean
Streets et de passage de relais avec le jeune affranchi
enthousiaste que campe Ray Liotta; Ace Rothstein, le
personnage posé et réfléchi quil
interprète dans Casino, est lexact
reflet inversé du Johnny Boy provocateur et
inconséquent quil joue dans Mean
Streets, jusque dans la fin quils connaissent
lun survit en dépit de tout, là
où lautre précipite le dénouement
tragique du film. Lamitié qui unit R. De Niro
et Joe Pesci dans Goodfellas et, surtout, dans
Casino, apparaît également comme un
écho de la fratrie conflictuelle quincarnaient
les deux acteurs dans Raging Bull. Quant à
Bringing Out the Dead, cest bien sûr avec
Taxi Driver quil entre en relation: les deux
films possèdent le même scénariste
Paul Schrader, qui navait pas
retravaillé avec Scorsese depuis The Last
Temptation of Christ et un postulat identique
un homme arpente les rues de New York, la nuit, dans
son véhicule professionnel. Pourtant, une fois
encore, il sagit moins là dune simple
reprise que dune inversion des caractères
initiaux; aussi semblables que puissent paraître leurs
situations, tout oppose en réalité Travis
Bickle (R. De Niro) et Frank Pierce (N. Cage): le premier,
ancien soldat au Viêt-nam incapable de se
réinsérer dans la vie quotidienne, est
confronté au pourrissement du monde quil
observe à travers les vitres de son taxi, et se
transforme peu à peu en justicier; le second,
ambulancier tourmenté par son impuissance à
sauver ceux dont il a la charge, est hanté par le
souvenir dune jeune S.D.F. quil na pu
ramener à la vie.
Tous ces éléments peuvent
superficiellement apparaître comme les symptômes
comme on le dit dune maladie, puisquil
sagit sans doute dune catégorie maladive
de lhistoire de lesthétique
dun art maniériste. Il nest pas question
de prétendre ici traiter de lépineuse
question du maniérisme, sur laquelle nous envisageons
de revenir ultérieurement, dans dautres
textes.
Lenjeu, en loccurrence, se borne à
déterminer en quoi les films de Scorsese ne sont
maniéristes quen apparence. Ainsi,
lusage de fondus enchaînés incessants, de
recadrages brutaux, de longs travellings sophistiqués
à la steadicam, voire de ralentis et
daccélérés (moins nombreux
cependant quon ne pourrait le croire, moins nombreux
justement que chez un authentique cinéaste
maniériste comme Brian De Palma), évoque celui
quen font les auteurs maniéristes (De Palma
donc, mais aussi Dario Argento ou John Woo), dans leur
désir de travailler et dexacerber
lécriture des grands maîtres classiques.
De même, la saturation de la bande sonore par
lenchaînement ininterrompu de chansons
populaires, le chevauchement dune voix-off foisonnante
et des dialogues dune scène peuvent
apparaître comme relevant dun désir
maniériste de faire parvenir luvre
à réplétion. Enfin, comme on la
vu, les films de Scorsese établissent de multiples
correspondances avec des ouvrages du passé,
limage renvoie nécessairement à
limage, le réalisateur postulant, comme les
maniéristes, que ni lil du
cinéaste, ni celui du spectateur ne peuvent
désormais prétendre être vierges ou
innocents.
Cependant, à moins dadopter
une acception très large de la notion même de
maniérisme, il est impossible de considérer
Martin Scorsese comme un cinéaste maniériste,
au même titre que B. De Palma ou D. Argento.
Lartiste maniériste ne se contente pas de
retravailler une écriture classique en en
exagérant les motifs et les déformations
quelle fait subir au réel; il lui faut
élire un auteur, et chez celui-ci, une figure
spécifique quil ne va avoir de cesse de
déformer jusquà la rendre
méconnaissable et proprement sienne. Cest cette
élection de la figure matricielle qui explique que le
maniérisme au moins dans sa première
génération, celle qui apparaît au
tournant des années 60-70 soit si lié
au cinéma de genre dont les films de Scorsese
sont malgré les apparences fort
éloignés, certains critiques conservateurs
nayant dailleurs pas manqué de lui
reprocher ce quils considéraient être une
impuissance à prolonger lhistoire des genres
traditionnels. La multiplicité des uvres et des
univers avec lesquels les films de la dernière
période entrent en résonance montre assez
clairement que lon ne peut ranger Scorsese parmi les
maniéristes.
Si la confusion nest pourtant pas
toujours évitée, cest que les films du
réalisateur sont tous, comme ceux des adeptes du
maniérisme, des mises en scène de mises en
scène. Mais ces dernières, avant
dêtre celles dautres réalisateurs,
sont dabord les mises en scène que la
société bâtit pour aliéner un peu
plus lindividu en nimbant toute chose dun voile
de respectabilité immuable. Le cinéma devient
dés lors un référent indispensable
parce que, situé au cur de limaginaire de
ce siècle, il est à la fois loutil par
excellence de la manipulation des foules et du
travestissement des réalités, et
linstrument le mieux à même de percer
à jour le véritable fonctionnement de
sociétés dissimulatrices quil
sagisse de la mafia new-yorkaise, de lindustrie
du jeux de Las Vegas, de la haute société de
la fin du XIXème siècle ou de la famille
bourgeoise et libérale daujourdhui. Le
cinéma a tant contribué à falsifier le
regard porté sur le monde, quil faut à
Scorsese mettre en uvre lensemble des moyens
offerts par le cinématographe pour seulement
commencer à déjouer les mises en scène
que les sociétés opposent à
lil humain.
Le problème des personnages de
Scorsese nest cependant pas seulement de voir,
dêtre un spectateur lucide du monde tel
quil est et non tel quil se rêve; il leur
faut toujours passer du rang de spectateur à celui
dacteur traversée du miroir ou de
lécran dont on perçoit bien sûr ce
quelle a dautobiographique pour lancien
enfant asthmatique fasciné par le cinéma et
devenu lui-même réalisateur. Cest au
regard de ce passage au difficile statut dacteur que
les derniers films sont les plus révélateurs
dune profonde évolution du cinéma de
Scorsese. Au début de Goodfellas, lorsque le
personnage de Henry Hill observe à travers la
fenêtre du domicile familial les affranchis
installés sur le trottoir den face, il est la
représentation même du spectateur. La
fenêtre est son écran, et ce dans tous les sens
du terme, puisquelle est aussi ce qui fait
écran à la perception de la
réalité du monde des mafiosi: spectateur
facilement abusé par le luxe des apparences, Henry
deviendra progressivement acteur de ce monde sordide, acteur
moralement médiocre mais socialement brillant
et dont le seul regret sera au final dêtre
rejeté dans la masse informe des spectateurs lambda.
Le passage dun statut à lautre, moment
daffrontement à la réalité du
monde et à sa violence, naura été
pour Henry Hill quune simple formalité.
Il nen va pas de même pour les
derniers héros de Scorsese: Ace Rothstein, Kundun et
Frank Pierce se révèlent de plus en plus
spectateurs du monde qui les entoure, confrontés
à leur propre impuissance, et de moins en moins
acteurs susceptibles dinfluer sur ce monde, en
particulier pour sauver ceux dont ils ont la charge. Ace
Rothstein règne en observateur lointain sur son
casino, retranché derrière son système
de vidéo-surveillance qui lui permet
dapercevoir pour la première fois Ginger (S.
Stone), sa future femme; cest lorsquil passera
à travers lécran pour la rejoindre et
lépouser quil entraînera la chute
de son système parfaitement rôdé
par son aveuglement, dabord à voir quelle
est et restera toujours amoureuse dun maquereau
minable, puis à comprendre quelle le trompe
avec son meilleur ami; A. Rothstein, capable de
prévoir tous les résultats de toutes les
courses, de tous les matches, comprend tout trop tard
de manière significative, lorsque Ginger laura
quitté, les policiers viendront lui montrer des
photos de ladultère pour quil observe ce
quil na pas vu ou voulu voir plus tôt:
spectateur extralucide, il devient un acteur aveugle en
passant la rampe. Cloîtré derrière les
murs dun monastère bouddhiste, Kundun
naccède au monde extérieur que par
lentremise de longues vues et de la projection de
films et dactualités cest par ce
biais quil assiste à lune des plus
grandes violences envisageables, le lancement de la bombe
atomique sur Hiroshima; impuissant à empêcher
linvasion de son pays par les troupes chinoises,
à jouer son rôle dacteur politique
auprès de Mao, à sauver son peuple de
lasservissement, sa culture de
lanéantissement What can I do ?
Im just a boy. dit-il à son entourage
il sera poussé à la fuite et à
labandon de son pays: au dernier plan du film,
réfugié en Inde, il observe à travers
son télescope son pays dont il est désormais
condamné à nêtre plus que le
spectateur. Frank Pierce est laboutissement
(momentané) de cette évolution: sa peur de
nêtre que le spectateur impuissant de la mort de
ceux quil a, par sa fonction même
dambulancier, le devoir de sauver, est le sujet
explicite du film.
Il est un autre point important au sujet
duquel Bringing Out the Dead fait figure
dexplicitation: cest la question de la
présence des morts. Les personnages de Scorsese ont
toujours été des survivants, des êtres
réchappés de leffondrement de leur Eden:
Henry Hill, Sam Bowden et sa famille, Newland Archer, Ace
Rothstein, Kundun, Frank Pierce ont tous survécu
à lanéantissement de leur idéal,
quel que soit la teneur de celui-ci. La seule chose qui leur
reste de leur paradis perdu, cest le souvenir
quils en ont, souvenir également de ceux qui
sont morts au cours de sa chute mort qui peut
être symbolique, comme dans The Age of
Innocence celle du jeune Newland Archer et de ses vaines
illusions, dont le Newland Archer âgé et
respectable se souvient comme dun lointain parent
défunt. Mais au fil des années, la
présence des morts dans les films sest
exacerbée, elle est devenue bien plus lourde à
porter pour les survivants: à la fin de
Goodfellas, Ray Liotta pouvait encore se souvenir de Joe
Pesci comme dun simple symbole de sa gloire
passée; le regard dans le lointain que De Niro
présente à la caméra, ses
énormes lunettes de soleil enlevées comme un
masque qui tombe, au dernier plan de Casino,
dévoile assez clairement quil ne peut
désormais plus en être de même. Les
éléments biographiques ne sont pas
étrangers à une telle évolution;
à propos de Bringing Out the Dead, Scorsese
déclare à Michael Henry: Je
naurais pas pu faire ce film il y a dix ans, avant la
mort de mes parents, avant davoir connu le service des
urgences, les salles de réanimation à trois
heures du matin. Je sais ce que cest dêtre
assailli par de telles émotions et de se sentir
totalement impuissant.
Avant ce dernier long métrage, Kundun est
déjà un film hanté, hanté par la
disparition de ceux que lon aime, par la mort du
père le travelling qui remonte le long du
corps de celui-ci, sur son lit de mort, est sans doute
lun des plans les plus mémorables du film
, par la perte de la mère le film est
dédié à la mémoire de Catherine
Scorsese. Dans Bringing Out the Dead, les morts
prennent forme, à travers la multiplication du visage
de Rose, la jeune S.D.F. que Franck ne cesse de croiser tout
au long de ses déplacements nocturnes, et par le
biais des spectres quil arrache au pavé
new-yorkais dans le rêve quil fait à
lOasis, lappartement de Cy le dealer. Pour
trouver lapaisement quil rencontre
(peut-être) au dernier plan du film, il faudra que
Franck accepte de laisser mourir les morts, accepte son
impuissance à jouer ce rôle de dieu
guérisseur quil a cru un moment pouvoir
être. Comme Emmanuel Salinger dans La
Sentinelle dArnaud Desplechin, il lui aura fallu
soccuper des morts pour commencer à vivre.
Jean-Etienne
PIERI
Kent Jones est correspondant aux
États-Unis des Cahiers du cinéma ; il
écrit aussi notamment dans Trafic et dans la
toute jeune revue Simulacres. Assistant
de M. Scorsese, il a travaillé sur A Personal
Journey with Martin Scorsese Through American Movies et
Bringing Out the Dead.
Il a également
cosigné avec Michael Henry Wilson un important
documentaire sur lhistoire du cinéma
américain, A Personnal Journey with Martin
Scorsese Through American Movies (Voyage avec Martin
Scorsese à travers le cinéma
américain, 1995); nous ne labordons pas
dans lanalyse qui suit, pas plus quIl dolce
cinema, consacré au cinéma italien et pour
linstant inachevé, dont une première
mouture a été présentée
lan dernier au festival de Venise.
Sur la question du
maniérisme, on consultera avec profit le n°2
(mai 97) de la revue Au hasard Balthazar,
particulièrement larticle de Stéphane
Delorme, Dune esthétique
maniériste.
Les rues de New York sont
toujours peuplées de fantômes, entretien
de M. Scorsese avec Michael Henry, Positif
n° 470. Correspondant de Positif à
Los Angeles, Michael Henry Wilson est aussi
coréalisateur de A Personnal Journey... et
auteur dun documentaire sur le tournage de
Kundun, intitulé In search of
Kundun(A la recherche de
Kundun, 1997).
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