Sur
le plan des ambitions du héros, le chapitre 5 de la
troisième partie scelle déjà la fin du
récit. Les deux suivants sont significativement les
plus brefs de tout le roman et à chaque fois il
s'agit, après un long laps de temps, d'un dialogue
entre deux personnages qui reviennent sur les
événements du roman plus qu'ils ne les
prolongent. Ce chapitre cumule ainsi les désillusions
sur le plan politique (échec de la
révolution), de l'ascension sociale (rupture avec la
riche veuve Dambreuse), de l'amitié (Deslaurier
procède à la vente publique du mobilier de Mme
Arnoux et le supplante auprès de Mlle Louise ; mais
surtout, bien sûr, Sénécal tue
Dussardier pendant la répression sous les yeux de
Frédéric) et des liaisons amoureuses (il
quitte Mme Dambreuse et Rosanette, il se détourne de
Louise). La fin des espérances se double très
concrètement dans ce chapitre d'un abandon des lieux.
Comme si Frédéric avait usé toutes les
places, il fuit successivement chacun des endroits où
il se trouve ; chaque lieu le révulse, le repousse
vers un autre : son " dégoût de Paris "
vers Nogent " à l'ombre du toit natal avec des
curs ingénus ", Nogent qu'il quitte
aussitôt " honteux, vaincu,
écrasé " pour Paris, Paris où
l'accueille la mort de Dussardier et auquel succèdera
la longue série des voyages évoquée par
quelques lignes en ouverture du chapitre 6. La perte de ses
espérances vide de sens jusqu'aux aires
géographiques qui leur ont servi de cadre, de telle
sorte que l'abandon des unes ne peut aller sans l'abandon
effectif des autres.
Mme Arnoux, et l'amour,
n'échappent pas à cet effondrement
général : l'une de ses escroqueries finit par
se retourner contre Jacques Arnoux et par le mener à
la banqueroute, Mme Arnoux a dû quitter Paris,
Frédéric l'imagine " livrée à
tous les hasards de la misère ", elle subit
l'humiliation d'une vente publique et Frédéric
voit brader sous ses yeux les objets qui constituaient le
décor de son sanctuaire, profanés par la foule
: " les jupons, les fichus, les mouchoirs et jusqu'aux
chemises étaient passés de main en main,
retournés [
] et le
partage de ces reliques, où il retrouvait
confusément les formes de ses membres, lui semblait
une atrocité, comme s'il avait vu des corbeaux
déchiquetant son cadavre " et par le boniment
irrévérencieux des crieurs : " Avec un peu
de blanc d'Espagne, ça brillera ! " Ce
démembrement marque la mort symbolique de Mme Arnoux
et avec elle celle du roman, qui semble ici
procéder à la vente prématurée
de son propre décor. Ainsi quand Mme Dambreuse se met
en tête, non sans malignité, d'acquérir
le coffret, Frédéric l'exhorte à "
ne pas dépouiller les morts de leurs secrets
". Certes, Mme Arnoux vit encore " Je ne la
croyais pas si morte " ne se prive d'ailleurs pas de lui
répondre Mme Dambreuse , mais il est
déjà évident pour
Frédéric qu'il ne la reverra plus.
Malgré cela, son amour semble persister,
peut-être renforcé par les épreuves.
Ainsi, au sortir de la vente, il quitte Mme Dambreuse. C'est
à ses yeux un beau geste ; mais assez coûteux,
puisque Frédéric vient de sacrifier
l'ascension sociale qu'il avait jusqu'ici recherchée,
et d'ailleurs sans doute plutôt impulsif
puisqu'à la réflexion " il fut
étonné de son action, et une courbature
infinie l'accabla. " De sorte que même ce grand
amour demeure une chose indécise.
En se donnant comme le
contre-pied du premier chapitre, le chapitre suivant (III,
6) confère sa véritable résonance
à ce long processus de désillusion. Le " Il
voyagea " fait ainsi écho au " il avait
voyagé " qualifiant Arnoux au tout début
du roman ; mais ce qui était alors, aux yeux pleins
d'admiration de Frédéric, un titre de gloire
supplémentaire, a ici perdu toute sa saveur comme si
Frédéric était passé sur l'autre
bord du réel, celui où le regard épuise
désormais les choses qui avaient été
riches de promesses. Les bateaux distillent désormais
" la mélancolie " quand l'excursion fluviale
du premier chapitre suscitait l'enthousiasme (" Le
plaisir tout nouveau d'une excursion maritime facilitait les
épanchements. [
] Beaucoup
chantaient. On était gai. "). De même,
alors que le premier mettait en scène l'"
apparition " de Mme Arnoux, c'est dans celui-ci que
Frédéric et le lecteur prennent congé
de celle qui fut le fil conducteur du roman autant que celui
de la vie de Frédéric. L'un et l'autre font
ainsi le deuil des ambitions qui les menaient et leur
interruption met ainsi, à double titre, un terme
à l'" histoire d'un jeune homme ".
L'Éducation
sentimentale relate ainsi le cheminement par lequel
Frédéric fait l'apprentissage de cette
façon qu'a le monde de ne jamais se ramener à
la plénitude, à la précision de
l'aspiration initiale. Le chapitre 5 est constitué
par le récit des abandons et des
désenchantements successifs. Au terme de
l'accumulation, avec le dégoût final
suscité par le spectacle de Sénécal
tuant Dussardier, se consomme, quelques pages avant la fin
du roman et avec la fin du récit lui-même, l'"
éducation " de Frédéric. Il ne peut que
rester bouche bée, " béant ", puisque
cette initiation est le fruit des épreuves
successives et qu'aucune idée ne saurait la
résumer ou la circonscrire. Ce qu'apprend
Frédéric, c'est qu'il n'y a plus rien à
dire. L'écrivain en prend acte : Flaubert coupe net
sans qu'il y ait eu de retour sur la résonance de la
scène sur Frédéric. Il y a un blanc. Le
lecteur doit tourner la page et tombe alors sur l'ouverture
du chapitre 6 : " Il voyagea ", qui fait l'effet
d'être la réponse indirecte à ce
dégoût final et paroxystique qui échappe
au discours. Par ce voyage, Frédéric
échappe à la scène et entame ce que
sera désormais son existence et qui s'apparente
à un long mutisme. En ce sens il n'y a pas de roman
d'apprentissage qui soit capable de rendre absolument compte
du cheminement de la désillusion et de l'usure. Les
deux " épilogues " parce qu'ils nous confrontent
à un Frédéric mûr, placent
l'écriture dans la situation de venir après ce
qu'elle n'a pas su dire.
L'avant-dernier chapitre,
à l'image de son ouverture par un long silence qui
échappe à l'écriture, est celui qui
aborde le plus frontalement le thème de
l'intransmissible. La visite de Mme Arnoux, qui est
peut-être le point aveugle vers lequel tendait tout le
roman tant le personnage resté insaisissable semblait
être comme la clé de l'énigme, est
cependant entièrement contaminée par le
silence. Au moment où ils se retrouvent, tandis que
se sont écoulées quatorze années de
silence, Frédéric et Mme Arnoux restent
d'abord " sans pouvoir parler ", puis Mme Arnoux ne
s'exprime qu'" avec de longs intervalles entre ses
mots " ou bien " après un long silence "
et le chapitre, le plus court de tout le roman si l'on
excepte le dialogue final entre Frédéric et
Deslaurier, s'achève ainsi très rapidement,
quand " ils ne trouv[ent] plus rien
à se dire ", moins par la nécessité
du récit, semble-t-il, que par la raréfaction
des paroles échangées. Il y a certes souvent
des silences dans les conversations chez Flaubert. Mais leur
notation est ici récurrente alors même que
l'enjeu de la scène, puisque c'est la première
fois que Mme Arnoux et Frédéric se parlent
à cur ouvert, semblait devoir les faire
disparaître. La signification des silences
paraît donc devoir être moins la marque de
l'indigence des sentiments que celle du souci de ne pas
surcharger leur rencontre par des paroles qui ne pourraient
être qu'en décalage. Quand onze heures sonnent
Mme Arnoux, qui s'est déjà trop
attardée, fixe un terme : " au quart, je m'en
irai. " Il ne s'agit plus que d'attendre ce terme
artificiel et l'on comprend alors la véritable
portée du silence, qui n'est pas le fruit d'un moment
d'intensité amoureuse partagée au-delà
des mots. Il s'agit au contraire d'une attente un peu vide :
" elle observait la pendule, et il continuait à
marcher en fumant. " La scène pourrait presque
trouver place sur le quai d'une gare. Cette attente qui
n'est porteuse d'aucune promesse est pourtant
prolongée au-delà de l'heure fixée. Il
est onze heures vingt-cinq quand Mme Arnoux s'en va.
L'attente qu'ils s'accordent l'un à l'autre est un
moyen de s'entre-signifier une passion qu'ils ont
renoncée à pouvoir dire. Le langage n'autorise
pas à sortir de la convention qui le constitue, sa
seule utilité, à l'image de tout mode de
communication fût-il comme ici la simple
présence silencieuse , est de faire
signe [3].
Mais dès lors que
l'essentiel de cet amour échappe à sa fixation
dans la langue et que cette dernière ne permet pas
tant de le dire que de le signaler, cet amour
court toujours le risque du vacillement et de l'effacement.
Ainsi, quand Frédéric aperçoit les
cheveux blancs de Mme Arnoux son amour court un instant le
risque de ne plus s'adresser qu'à un souvenir. Il se
réfugie alors aussitôt dans " les phrases " en
se mettant " à lui dire des tendresses "
[4], et par ces
lieux communs de la conversation amoureuse qui pallient
à la défaillance des sentiments, "
Frédéric, se grisant par ses paroles,
arrivait à croire ce qu'il disait. " Parce que
ces phrases ne sont que des signes extérieurs sans
garantie de la réalité d'un sentiment qu'elles
proclament, elles peuvent remplacer un sentiment
défaillant, mais jettent la suspicion,
désormais, sur le motif même de ce discours.
Cette première incertitude se trouvera
confirmée à la fin de la visite : quand il
entraperçoit l'idée qu'elle soit venue pour
s'offrir, alors qu'il se trouve " pris d'une convoitise
plus forte que jamais ", Frédéric
hésite, et renonce finalement. La première
raison qu'il se donne procède, indéniablement,
d'un sentiment flatteur pour Mme Arnoux : c'est "
l'effroi d'un inceste ", c'est-à-dire la
crainte de toucher son idéal ; mais il s'en ajoute
une autre : la crainte " d'en avoir dégoût
plus tard ", c'est-à-dire de voir l'amour de
toute une vie passer comme un autre, pas différent
d'un autre (Rosanette, Mme Dambreuse, etc.) et
derrière celle-ci, plus sourde, la crainte de
s'être trompé si longtemps, et de le
découvrir. Un dernier motif apparaît enfin :
l'" embarras ", traduire "l'embarras
matériel", pour l'existence bourgeoise, que
représenterait cette liaison avec une femme
mariée, l'organisation des rencontres, la
régularité des entrevues, la simple
perspective des inconvénients de cette demi-vie de
couple, etc. Percevant ce mouvement, mais n'en saisissant
que le premier mobile, Mme Arnoux est "
émerveillée " : " Comme vous
êtes délicat ! ", dit-elle. L'écart,
entre ces deux personnages qui s'aiment,
réapparaît ici clairement. Au moment où
ils se réunissent, Frédéric ne peut que
constater la distance qui demeure entre eux. Les trois
mobiles, allant du plus noble au plus prosaïque,
maintiennent quant à eux la nature de son amour dans
une interprétation indécise, y compris
à ses propres yeux.
Le chapitre lui-même se
clôt sur cette énigme. La conclusion du
chapitre, et avec lui du roman comme histoire sentimentale,
n'est en effet conclusive que par défaut : Mme Arnoux
s'en va, elle n'est plus là pour donner sa trame au
roman qui dès lors s'interrompt. Mais ce
départ n'apporte aucune réponse. Le lecteur
conserve, il faut bien le dire, l'image d'un personnage
pâle, effacé ; à ce titre il se rappelle
que Deslaurier la trouvait " pas mal, sans avoir pourtant
rien d'extraordinaire " (I, 5) ; la scène de l'"
apparition ", comprend-t-on alors, ne brillait d'un
certain éclat que parce qu'elle était vue par
les yeux de Frédéric, qui constatait
d'ailleurs lui-même, mais presque comme un paradoxe,
que " ceux qui étaient là, pourtant,
n'avaient pas l'air de la remarquer. " Le lecteur se
souvient aussi d'une remarque intrigante de Rosanette,
durant la scène de séparation, au sujet de Mme
Arnoux : " des yeux grands comme des soupiraux de cave,
et vides comme eux " (III, 5). Ce qu'est Mme Arnoux,
pour Frédéric, ne peut se décrire
positivement, elle ne saurait se réduire à un
ensemble de qualités. Pour cerner une dernière
fois la passion de toute une vie, Flaubert laisse le lecteur
devant la vacuité d'un départ, devant un vide
qui entoure quelques rares faits, qu'il doit combler comme
le faisait Frédéric en mettant dans les
phrases des romans " Tout ce qu'on y
blâme d'exagéré, vous me l'avez fait
ressentir ", dit-il à Mme Arnoux ce
qu'il fallait pour, de poncifs et de platitudes, faire des
vérités. D'où la
nécessité, plus impérieuse encore dans
ces dernières pages, d'accroître la part du
silence. La dernière phrase du chapitre, " Et ce
fut tout ", en est l'aboutissement. C'est le paradoxe de
l'énonciation même du fait qu'il n'y a plus
rien à dire et une façon de faire durer
artificiellement comme l'heure fixée
par Mme Arnoux faisait durer artificiellement leur
dernière entrevue , d'augmenter
l'histoire, pour la faire résonner encore un peu,
d'une dernière phrase qui, n'ayant qu'une valeur de
ponctuation, est seulement constituée de quatre
monosyllabes comme pour aller au plus simple, au plus bref,
quand le plus simple aurait précisément
été de ne pas la dire. Cette phrase ne peut
donc se concevoir que comme la tentative de dessiner un
creux, un espace, un vide entre les lignes. Puisque " les
phrases " ne veulent plus rien dire en elles-mêmes,
c'est par la résonance autour que l'écrivain
peut encore espérer tenir un propos qui ne soit pas
totalement insignifiant. Puisque la langue est vieille et
usée tout l'enjeu est alors de rendre " la
dissemblance des sentiments sous la parité des
expressions " [5],
et ce sont simplement les espaces ménagés
entre ces expressions qui pourront les faire paraître
sous un jour unique et particulier, elles qui sont les
traces de l'expérience commune.
C'est pourquoi, dans les deux
derniers chapitres du roman, Flaubert s'emploie à
faire le vide, à retenir le flot continu de la
langue, à l'obliger à des pauses, à des
" soupirs ", au sens musical. Outre les grands laps de temps
qui s'écoulent entre les derniers chapitres
[6], cela se
manifeste ne serait-ce que visuellement par l'utilisation
répétée des retours à la ligne
dans une proportion bien supérieure au reste du
roman. On peut ainsi compter dans l'avant-dernier chapitre,
qui ne représente pourtant guère plus de 5 ou
6 pages, plus d'une dizaine de paragraphes de quelques mots
seulement. La langue remplit tout ce dont elle parle, y
compris les vides du silence, elle engloutit tout dans un
mouvement uniforme. Dans cette succession de mots, au sein
de ce " Trottoir roulant ", pour reprendre l'expression de
Proust, la phrase brève rejetée en
alinéa introduit en même temps qu'une
aspérité qui retient le regard, une pause,
voire une rupture, dans l'enchaînement du
discours.
Mais aucun
procédé, puisqu'il risque toujours de devenir
lui-même répétition, ne suffit bien
sûr à introduire cette résonance qui
donne leur valeur aux mots. Il n'a donc d'autre sens que
d'indiquer au lecteur la nécessité pour
comprendre le texte de réintroduire les blancs entre
les phrases, de tenir compte de l'absence chez Flaubert,
entre deux paragraphes, de ceux qui,
quoiqu'écartés du texte final, continuent de
le hanter [7]. C'est
ainsi que la quasi-demi-heure de silence entre Mme Arnoux et
Frédéric, à la fin de leur
dernière rencontre, n'est rendue que par quelques
lignes dont la lecture ne prend qu'un instant. Le lecteur ne
peut que ressentir à ce moment toute la distance qui
le sépare des personnages. Rappelons qu'un peu plus
haut déjà, la phrase de Frédéric
à propos des " passages d'amour dans les
livres " (formulation qui ne peut pas ne pas faire
penser à la scène présente) avait
déjà fait allusion à cet écart :
" Tout ce qu'on y blâme d'exagéré,
vous me l'avez fait ressentir " disait-il, comme si, en
définitive, tout dépendait de la reprise qui
est faite par le lecteur, de sa façon de combler les
vides entre des phrases qui ne paraissent
qu'exagérations tant qu'une expérience
singulière ne leur a pas donné sens.
L'Éducation sentimentale nous oblige en effet
à envisager entre le lecteur et l'auteur une
connivence obscure mais essentielle, qui se fait en marge de
l'écriture mais qui en est la substance.
Les silences ne traduisent
donc pas l'échec du discours, ils sont l'espace
laissé à ce véritable lecteur qui doit
lui-même être " artiste " et qui doit
savoir montrer à la fois " une grande imagination
et une grande bonté. " [8]
Si l'écriture en est réduite, pour
communiquer, à ménager sa propre absence, il
faut moins y voir la marque de son impuissance que celle de
sa participation au monde : elle en reproduit le
caractère indécis, jamais
définitivement saisissable. Si la
vérité de la parole réside moins dans
l'expression juste que cherchaient les classiques
[9] que dans le
"jeu" d'un style, c'est que le monde n'offre pas tant, lui
non plus, un lieu de la vérité qu'une
série d'événements dont le héros
doit trouver le sens. C'est ainsi que le lecteur et le
personnage se rejoignent : même si, à la
différence du lecteur, Frédéric vit son
amour pour Mme Arnoux, celui-ci n'est pas moins
mystérieux à ses yeux qu'à ceux du
lecteur ; et les faits " Elle monta dedans.
La voiture disparut. " ne sont pas moins
limpides et cependant inépuisables pour
Frédéric que ne le sont les mots pour le
lecteur. Pour ce dernier comme pour les protagonistes, les
faits et les mots restent toujours à distance comme,
au début du roman, sur le bateau, les rives s'offrant
au regard du passager qui voudrait les rejoindre et pour
lequel " cette chose bien simple n'était pas plus
facile, cependant, que de remuer le soleil ! "
David AGRECH
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1
Placée dans Le Rouge et le Noir en
épigraphe au chapitre 13 de la première partie
et attribuée, pour la forme, à l'abbé
de Saint-Réal.
2
Frédéric vient du Havre et, de Paris, il s'en
retourne à Nogent ; trois villes reliées entre
elles par le fil de la Seine. Dans la préface
à sa récente édition de Madame
Bovary [Gallimard, " Folio classique ", 2001, p.
20-23], Thierry Laget, qui va jusqu'à parler d'un
" livre dicté par le fleuve ", rappelle que le
cabinet de travail de l'écrivain de Croisset donnait
sur la Seine et montre comment le motif de la rivière
est le plus souvent associé chez Flaubert à la
question de l'écriture et de l'écoulement de
la phrase.
3
Tout ce processus à l'uvre dans
L'Éducation sentimentale se retrouve jusque
dans les lettres de Flaubert, comme l'a montré
Amélie Djourachkovitch dans une étude
consacrée au quatrième volume de la
Correspondance publiée dans la Pléiade : "
Il est primordial de faire signe [
].
Le message épistolaire vaut peut-être moins
par son contenu que par l'assurance du rapport affectueux
qu'il entretient indéfiniment. " (" En fait de
nouvelles " in Revue Flaubert, n° 1, 2001 ; site
Flaubert : http://www.univ-rouen.fr/flaubert/).
4
Voir à ce sujet l'analyse de Fabien Tissier dans "
Madame Bovary : les mots et la matière " (L'art
d'aimer, n° 1, janvier 2000, p.
5). Précisons à notre tour deux
fonctions distinctes de ce type de phrases : le " ils ne
manquèrent pas à faire des phrases " de la
"scène du lac" (Madame Bovary ; III, 3) ou, durant la
scène bucolique avec Rosanette, " un besoin le
poussait à lui dire des tendresse "
(L'Éducation sentimentale ; III, 1) sont
précisément pour Flaubert un moyen de se
dispenser d'en faire du même ordre ; tandis que dans
ce passage de L'Éducation sentimentale, il
s'agit, en appelant ainsi le regard critique, d'exposer aux
yeux du lecteur le mécanisme même par lequel la
parole perd sa vérité.
5
Madame Bovary (II, 12).
6
On pense ici à l'ouverture du troisième livre
de l'Histoire de Tom Jones, de Fielding : " nous
lui offrons [au lecteur] dans toutes ces
périodes l'occasion d'employer la merveilleuse
sagacité qui est la sienne à remplir ces
espaces de temps vacants de ses propres conjectures "
(trad. de Francis Ledoux).
7
Jacques Neefs montre comment, dans Un cur
simple, entre le départ et l'arrivée
à la ferme de Geffosses, l'enchaînement des
deux paragraphes est le lieu même du voyage : "
Pour le lecteur, Flaubert trace ce "blanc" d'une infinie
densité qui fait que l'on doit mimer en soi le
trajet, pour qu'enfin "on arrive à Geffosses." "
On approche ainsi de " la limite même de ce que le
récit peut dire, en traçant l'espace de son
effacement. " (J. Neefs, " Les silences du récit
" in " Resonant themes. Literature, History and the Arts in
Nineteenth- and Twentieth- Century Europe. Essays in Honor
of Victor Brombert ", North Carolina studies in the
romance languages and literatures, n° 263,
1999)
8
Lettre du 2 février 1869 à George Sand.
9
" Entre toutes les différentes expressions qui
peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a
qu'une qui soit la bonne. " La Bruyère, Les
Caractères (I, 17).
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